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+ <title>La vie en marche</title>
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+ <firstname>Fabien</firstname>
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+ <year>1994</year>
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+ <title>La vie en marche</title>
+
+ <nda>
+ <para>Bon, avant que vous me le demandiez, la nouvelle se passe
+ sur la rue St-Hubert, en descendant du cégep Ahuntsic jusqu'au
+ pont qui relie le boulevard des Laurentides à Laval et la rue
+ Lajeunesse à Montréal.</para>
+
+ <para>J'ai écrit cette nouvelle pour la première parution du
+ journal du département des Lettres du cégep Ahuntsic en avril ou
+ mai 1994. Tout comme vous, probablement, j'ignorais jusqu'au
+ dernier moment ce qui allait arriver au héros.</para>
+ </nda>
+
+ <para>Mercredi midi, après les cours, le soleil rayonne à son plus
+ fort dans ces douces journées de mai. Quelques nuages, voyageurs
+ éparses de nos cieux, parcourent de leurs yeux de brumes les
+ allées et venues de la cité. Sac sur le dos, l'esprit libéré des
+ tensions de la vie, je regarde les gens. Mon pas flânant se
+ répercute dans sa course éperdue en contrepoint avec la symphonie
+ urbaine. "Les gens ont du temps à perdre", me dis-je. Oh oui!
+ qu'ils doivent en avoir du temps à perdre comme j'en ai longtemps
+ perdu. Des temps de soleil ou de pluie, des temps pour respirer
+ et vivre. J'ai couru moi aussi, pensant que c'était du temps
+ gagné. Ah! Que de différences avec l'allure adoptée qui laisse
+ enfin le temps aux rayons de l'astre divin pour nous rattraper de
+ sa jeune chaleur d'été.</para>
+
+ <para>Tranquillement, les lignes du trottoir défilent telles les
+ traverses d'un chemin de fer me guidant loin de chez moi, vers
+ l'Aventure de l'Ouest et les Grandes Ruées. J'oublie le temps,
+ j'oublie l'histoire et l'avenir, je ne garde que le moment. Mes
+ yeux quittent les brumes trop rapides des rues pour se maintenir
+ sur le défilement verdoyant de mes frères plus âgées qui ont
+ compris depuis longtemps que la vitesse ne fait que comprimer le
+ temps, et que cela n'a rien à voir avec toutes les grandes
+ théories de notre époque.</para>
+
+ <para>Un feu, la circulation automobile s'arrête pour aller plus
+ vite. La sonnerie stridente d'un cellulaire, chef d'oeuvre de
+ notre civilisation de surhommes à mallette pour qui la vie est une
+ affaire à négocier au plus vite, me rappelle comment l'évolution
+ du travail à libérer l'homme de son bureau pour mieux s'infiltrer
+ chez lui, dans son intimité et ses loisirs. Encore une fois,
+ c'est pour gagner du temps, du temps pour de l'argent mais pas
+ pour les gens. C'est de l'économie de bouts de chandelles que
+ l'on brûle par les deux bouts. Alors que le feu passe au vert, je
+ continue ma marche salutaire, détournant mes pensées de ce méandre
+ de klaxons impatients.</para>
+
+ <para>J'ai troqué le trottoir pour le sentier asphalté, mes yeux ne
+ se détournent plus de la rivière. Je la suis à l'encontre de son
+ courant, eaux libres et claires, chantant leur joie, le bris
+ encore récent il me semble - ai-je vraiment perdu tout ce temps?
+ - de leur prison hivernale. Et elles transportent sur leur dos
+ large, brodé de dentelles blanches au dessin de chevauchées
+ fantasques, les débris de la société qui la borde, société à
+ laquelle elle a donné vie, force et moyens, et qui menace
+ maintenant de la détruire par ses abus. C'est vers cette mère
+ bienfaitrice que je me dirige, pour demander un nouveau service à
+ celle qui se meurt déjà, pour me débarrasser du trop lourd poids
+ qui pèse sur mes épaules.</para>
+
+ <para>Le pont est là, devant moi, et je commence à monter sa légère
+ pente. Je ne peux empêcher mes pas d'accélérer comme auparavant
+ lorsque j'étais pressé par les horaires. Mais cette fois, c'est
+ la légèreté qui les porte et non le stress de mon ancienne vie.
+ Je soupèse mon sac et un sourire bête d'original s'inscrit sur mon
+ visage alors que, à mesure que je m'élève au-dessus de mon reflet,
+ j'imagine cruellement la chute vers l'amnésie froide de ses
+ bras.</para>
+
+ <para>M'y voilà au-dessus de cette envolée libre d'écume brunâtre.
+ Écume libératrice, cercueil de ce qui sera ma dernière chaîne dans
+ ma vie de cégépien. Deux années de bouquins emmagasinées dans un
+ simple sac, assez de poids pour l'entraîner dans les limbes
+ aqueuses de la rivière.</para>
+
+ <para>Voici la chute. C'est comme un doux vol d'oiseaux blancs, des
+ outardes qui annonceraient la fin d'un printemps boueux, le début
+ d'un nouvel été libérateur. Et je suis l'un de ces oiseaux,
+ libéré de mes études, de mes travaux, de cette vie minable de gens
+ pressés qui manquent de temps, qui perdent leur temps. Et mon
+ regard plonge vers ces eaux agitées, libre, enfin libre.</para>
+
+ <para>Mes épaules sont légères et mon esprit rêveur délivré. Je
+ n'entends rien, même plus la circulation automobile sur le pont, à
+ mes cotés. Quelques feuilles virevoltent encore, témoins du
+ dernier sacrifice que la Dame bleue a fait pour m'aider. Mon sac
+ vide sur l'épaule, je redescends, ne quittant pas des yeux le
+ nouvel horizon qui s'ouvre devant moi. J'ai fini le cégep, vive
+ les vacances!</para>
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