diff -r 000000000000 -r 5cbf517f2a5a jardin.xml --- /dev/null Thu Jan 01 00:00:00 1970 +0000 +++ b/jardin.xml Tue Dec 27 13:55:27 2005 -0500 @@ -0,0 +1,121 @@ + + + + + Le jardin du peintre + + Fabien + Niñoles + fabien@tzone.org + + + 1995 + + + Le jardin du peintre + + J'ai écrit ce court texte par un bel après-midi d'été dans un + parc sur la rue Mont-Royal. C'était lors d'une fête de quartier + et une école de peinture était venue s'y installer histoire d'en + apprécier la lumière. + + Tous ceux qui ont lu cette histoire avaient une idée + différente du personnage narrateur après le premier paragraphe. + Et vous, quelle + est-elle? + + + Un brin d'herbe verte me chatouillait le nez. Hérissés sur la + terre dure, ses semblables se laissaient balancer par le vent + avant d'être écrasés par les pas d'un passant. + + Ce dernier déploya son chevalet sur ses trois pieds et ouvrit + une petite mallette. Il vérifia si tout y était de l'air grave + d'un homme de science penché sur ses instruments. + + Il revint, transportant une toile précieusement emballée de + tissu blanc. Il déposa son paquet à même le sol et le déballa + avec précaution pour le poser sur son chevalet. Puis, + contrairement à ce qu'on pourrait s'attendre, l'homme s'assit dos + à celui-ci et, fixant le paysage qu'il allait peindre, + attendit. + + Ça faisait déjà plusieurs années qu'il venait à ce même + endroit travailler sur cette même toile. Il s'asseyait toujours + ainsi, ses bras enlaçant ses jambes repliées contre son torse, les + pieds croisés. Je pouvais facilement m'imaginer ce qu'il + cherchait: la lumière... la vraie lumière. Celle qu'il avait vue + la première fois qu'il était passé par ce parc. Depuis, il avait + troqué ses verres fumés, qui l'empêchaient de voir les couleurs du + ciel, pour un vieux chapeau de toile protégeant son crâne à la + calvitie maintenant bien avancée. + + Le soleil baissait et dans son visage, je pouvais presque lire + les souvenirs qu'il invoquait pour lui-même. Sa lumière, il + l'avait tant cherchée les premières fois, tentant vainement de + retrouver les couleurs exactes de son souvenir. Puis, il avait + fini par comprendre le temps qui semblait dévorer son trésor + précieux. Il avait compris qu'il cherchait quelque chose qui ne + reviendrait plus, tout comme sa jeunesse et ses cheveux perdus, et + que jamais il ne reverrait cette merveilleuse journée. + + On aurait pu croire cet homme triste et son regard bleuie de + nostalgie lorsqu'il regardait ainsi la réalité superposée à ses + rêves. Il l'avait d'ailleurs sûrement été au début lorsque ses + souvenirs commençaient à s'estomper comme une toile vieillissant + sous le soleil du temps. Des larmes de colère et de peine avaient + dû couler de ses yeux sur son coeur. Il aurait alors voulu tout + brûler et ne jamais revenir. Mais le jardin des souvenirs se + remplit de mauvaises herbes lorsqu'il est maltraité. Au jardinier + qui n'en prend pas soin, qui ne retourne pas sa terre au + printemps, qui ne fait pas ses semis ou n'installe pas de tuteurs + aux plants qui en ont besoin, le jardin meurt. À celui qui ne + nourrit pas son jardin, qui ne l'arrose pas les jours où le temps + lui refuse sa pluie, la plus prometteuse des terres s'assèche et + devient désert où plus rien ne pousse. + + Par chance, l'homme avait finit par comprendre la soif de son + jardin. C'est pourquoi il venait ici à tous les jours, attendant + patiemment et se laissant imprégner de la couleur du jour + finissant. Il y oubliait ses troubles et sa rancoeur pour enfin + se lever et rajouter une nouvelle teinte, un nouveau ciel à sa + toile. + + Il peignit alors que le jour descendait. S'il peignait un + rayon de soleil, c'est que sa journée s'était bien passée. S'il + peignait un peu de pluie, c'est qu'il nourrissait son jardin: la + terre qu'il avait bien traitée allait absorber son chagrin et + faire pousser pensées et sagesses. L'homme ne craignait plus ni + la pluie ni le beau temps. Il les avait apprivoisés. + + Le soleil avait pris une teinte sombre. Bientôt, la nuit + endormirait nos sens. Déjà, l'homme nettoyait ses pinceaux. + M'appuyant sur un coude, je lui souris. Il se tourna vers moi, + rayonnant et heureux. Avant même de voir la toile, je savais que + la pluie qui était tombé ce matin avait laisser sa place à ce beau + coucher de soleil. Je me levai et partis l'aider à serrer sa + toile. J'aimais cet homme, il était mon mari. Nous nous étions + croisés dans ce parc il y a longtemps déjà et, chaque jour depuis, + nous nous y sommes retrouvés pour s'apprivoiser. Aujourd'hui, + prenant soin d'un jardin mûrissant, nous étions deux sur sa toile + où la peinture fraîche se mêlait aux vieilles couleurs. + + +