Les règles de la bienséance argumentative
Voici les dix règles du savoir-argumenter proposées par van Eemeren et Grootendorst. Un sophisme (ou paralogisme) est commis chaque fois qu'elles sont transgressées — ce qui constitue une faute.
Règle 1 : Les participants ne doivent pas s'empêcher l'un l'autre de soutenir ou de mettre en douve les thèses en présence.
Sophismes : banissement des thèses ou affirmation de leur caractère sacro-saint; pression sur l'interlocuteur, attaques personnelles.
Règle 2 : Quiconque se range à une thèse est tenu de la défendre si on lui demande.
Sophismes : se soustraire au fardeau de la preuve; déplacer le fardeau de la preuve.
Règle 3 : La critique d'une thèse doit porter sur la thèse réellement avancée.
Sophismes : attribuer à quelqu'un une thèse fictive ou déformer sa position par simplification ou exagération.
Règle 4 : Une thèse ne peut être défendue qu'en alléguant des arguments relatifs à cette thèse.
Sophismes : argumentation ne se rapportant pas à la thèse débattue, thèse défendue à l'aide de ruses théoriques (ad populum, ad verecundiam [argument d'authorité]).
Règle 5 : Une personne peut être tenue aux prémisses qu'elle avait gardées implicites.
Sophismes : l'exagération d'une prémisse inexprimée représente un cas particulier du sophisme de l'homme de paille.
Règle 6 : On doit considérer qu'une thèse est défendue de manière concluante si la défense a lieu au moyen d'arguments issus d'un point de départ commun.
Sophismes : présentation abusive d'un énoncé comme point de départ commun ou dénégation abusive d'un point de départ commun.
Règle 7 : On doit considérer qu'une thèse est défendue de manière concluante si la défense a lieu au moyen d'arguments pour lesquels un schéma d'argumentation communément accepté trouve son application correcte.
Sophismes : application d'un schéma d'argumentation inadéquat [...] en appliquant de manière inadéquate un schème d'argumentation. («Le système américain ne se soucie pas de ce qui arrive au malade. Je connais un homme qui est décédé après avoir été renvoyé de l'hôpital.» «Tu n'auras pas d'ordinateur; ton père n'en avions pas quand nous étions jeunes.»)
Règle 8 : Les arguments utilisés dans un texte discursif doivent être valides ou sujets à validation par l'explication d'une ou de plusieurs prémisses inexprimées.
Sophismes : confusion entre conditions nécessaires et suffisantes; confusion entre les propriétés des parties et celles du tout.
Règle 9 : L'échec d'une défense doit conduire le protagoniste à rétracter sa thèse, et la réussite d'une défense doit conduire l'antagoniste à rétracter ses doutes concernant la thèse en question.
Règle 10 : Les énoncés ne doivent pas être vagues et incompréhensibles, ni confus et ambigus, mais faire l'objet d'une interprétation aussi précise que possible.
Voir H. van Eemeren et R. Grootendorst, L'Argumentation, p. 174 et suiv.
Extrait de N. Baillargeon, petit cours d'autodéfense intellectuelle, pp. 84-85.