Article: Oui, mais
Auteur: Robin D. Laws
Parution originale: Yes, but
Cet article est une chronique mensuel de Robin D. Laws (Feng Shui, HeroWars, Dying Earth...), un de mes auteurs de jeu de rôle préférés. M. Laws propose dans cet article l'utilisation d'une technique du théâtre d'improvisation en jeu de rôle, celle de l'interdiction du refus qui peut se résumer par la proposition clé «Oui, mais...»
M. Laws présente tout d'abord la technique et donne ensuite des exemples de son utilisation. Il met particulièrement l'accent sur les subtilités de la technique (accepter les prémisses posées par l'autre ne signifie pas nécessairement accepter les idées de fond) mais très peu sur les difficultés et les risques qu'elles entraînent (particulièrement, à mon avis, lorsque c'est le MJ qui l'utilise).
En premier lieu, les points positifs. Le premier point que souligne l'auteur est la synergie créative que cette technique possède: l'imposition d'une contrainte (ne jamais nier) permet aux acteurs (ou aux rôlistes) de se libérer de leur préparation mentale pour tomber en mode de génération spontanée. L'effet ainsi obtenue est, selon l'auteur, souvent plus amusante que si la même chose avait été peaufinée et répétée dans un sketch préparé à l'avance.
Il va s'en dire que cette dernière phrase est exagérée: si l'idée est possiblement plus intéressante que ce que les deux acteurs avait préparé durant leurs 60 secondes de préparation individuelle, elle l'est probablement moins que s'ils s'étaient consultés en premier lieu et avaient peaufinés et répétés leurs idées. La synergie d'un groupe n'a pas besoin de spontanéité pour produire son effet amplificateur. L'important est quand même là: accepter une prémisse de base, une contrainte créative, posée par un autre joueur, crée un déséquilibre créatif nous permettant de nous débarrasser du paresseux confort de nos rêves individuels pour explorer les territoires inconnus de l'espace imaginaire partagé du groupe.
L'auteur présente ensuite trois exemples de l'utilisation d'une telle technique lors d'une partie. Le premier exemple consiste en l'intégration d'un concept de personnage à l'univers de jeu, de façon à enrichir cet univers plutôt que le limiter. L'autre consiste à amorcer une intrigue intéressante à partir d'un intérêt des joueurs que le MJ aurait sinon refusé faute de partager cet intérêt.
Finalement, le troisième consiste à transformer une scène sans intérêt en anecdocte impromptu. Ce dernier exemple, bien qu'utilisant la même proposition «Oui, mais...» pour se construire, est quand même fort différente dans sa nature: Il n'y a pas ici une idée de nier aux joueurs leur droit de récolter de l'information (en fait, c'est souvent même le scénario qui demande une telle recherche) mais plutôt d'enrichir ces scènes mornes en y ajoutant des aventures parallèles, colorant le scénario. Cette méthode a elle aussi ses propres dangers, que l'auteur effleure légèrement et sur lequel je reviendrai.
Un élément important avant de continuer est de remarquer que cette technique, et l'article lui-même, s'adresse principalement aux meneurs de jeu, dans la forme la plus traditionnelle du jeu de rôle. Cette limitation est dû au fait que le droit de regard sur les évènements (nécessaire pour formuler le «oui, mais») est généralement détenu que par le MJ, les joueurs ne faisant que proposer. Certains jeux de rôle moins conventionnels offrent beaucoup plus d'autorités à cet égard aux joueurs, allant même jusqu'à faire de cette technique un élément central de leur système de résolution (par exemple Universalis).
Le premier danger de ces techniques est de tomber dans la confusion, voire le cabotinage. Les idées partent dans tous les sens et on perd tranquillement mais sûrement l'idée d'un thème directeur. En théâtre d'improvisation, l'arbitre est là pour signaler de tels écarts à l'utilisation de cette technique, mais qui est là pour signaler cet écart au MJ insouciant? Ce danger provient de l'acceptation totale (le «Oui») des propositions amenées, qu'elle soit en règle ou non avec le thème. La contre-partie de la proposition (le «mais...») doit à ce moment-là servir afin de réaligner la proposition avec le thème (tout en respectant l'idée du joueur, sinon, c'est du railroading).
L'autre danger est le débordement dont l'auteur parle à la fin de son article. Ces débordements créatifs sont dangereux et d'ailleurs, la deuxième forme du «Oui, mais...» avec sa création d'histoires parallèles, est interdite en théâtre d'improvisation (sauf lorsque supporté par le thème, par exemple un vaudeville). Trop d'histoires parallèles est lourd pour le MJ, qui n'a souvent pas eu le temps de penser aux conséquences des propositions sur le reste de l'univers, et finit aussi par mettre le scénario en péril, les joueurs perdant de vue la raison même de leur quête initiale (on rencontre d'ailleurs cela souvent lorsque les MJ laissent les joueurs faire strictement ce qu'ils veulent). Un minimum de réflexion et d'approfondissement est nécessaire. Plutôt que de simplement inciter à prendre du recul, comme l'auteur le dit, je dirais que cette méthode ne peut être utilisée sans risque si un certain recul vis à vis des questions importantes des joueurs n'est pas pris avant d'accepter la proposition.
Malgré mes commentaires, je recommande fortement cette méthode. C'est à mon avis une excellente façon d'enrichir l'expérience rôlistique, de se donner des défis. Cela peut même devenir un élément d'émulation, chaque joueur tentant de trouver la meilleure répartie à renvoyer au MJ (ou à un autre joueur) dans l'intérêt de l'histoire. Même dans un usage limité, cette technique offre aussi la possibilité d'intégrer l'intérêt de chacun et de permettre que tout le monde y trouve son plaisir en participant à l'histoire. Cette participation des joueurs à l'univers de jeu et à l'histoire ne fera qu'accentuer leur intérêt et leur engagement envers la partie, des facteurs favorisant grandement une partie intéressante et amusante.
D'ailleurs, cette méthode n'a pas besoin de s'appliquer qu'aux propositions des joueurs: elle peut aussi s'appliquer à celles du système de jeu. Ainsi, au lieu de simplement déclarer l'échec d'une tentative à la suite des résultats des dés, vous pouvez plutôt dire un «non, mais...» permettant de ne pas laisser les joueurs sur une voie sans issue. Cette méthode pourrait aussi s'appliquer dans le cas d'un succès mitigé mais avec quelques précautions toutefois: assurez-vous de ne pas introduire de conséquences plus désavantageuses que les avantages obtenus car vous toucherez à ce moment-là à la notion même de succès et les joueurs pourraient se sentir trahis ou manipulés.
Je ne peux pas terminer cette critique sans souligner l'intégration de cette méthode dans divers système de jeu comme Universalis. Une tendance actuelle est de favoriser de plus en plus l'apport des joueurs sur la trame narrative, allant même jusqu'à leur donné la possibilité de réfuter ou d'augmenter certains évènements. Le système de résolution se base alors sur qui aura le droit de décider du déroulement de la scène et à quel point. Les possibilités de jeu deviennent alors immenses, et n'est plus limité par l'imagination du seul MJ qui peut dès lors compter sur une équipe complète de co-auteur. Des jeux comme Universalis arrivent même à se passer complètement de MJ, chaque joueur ayant un droit de regard équivalent sur le contenu de la partie.
Note: Critique parue aussi sur jeuderôlogie