Le jardin du peintre

J'ai écrit ce court texte par un bel après-midi d'été dans un parc sur la rue Mont-Royal. C'était lors d'une fête de quartier et une école de peinture était venue s'y installer histoire d'en apprécier la lumière.

Tous ceux qui ont lu cette histoire avaient une idée différente du personnage narrateur après le premier paragraphe. Et vous, quelle est-elle?

Un brin d'herbe verte me chatouillait le nez. Hérissés sur la terre dure, ses semblables se laissaient balancer par le vent avant d'être écrasés par les pas d'un passant.

Ce dernier déploya son chevalet sur ses trois pieds et ouvrit une petite mallette. Il vérifia si tout y était de l'air grave d'un homme de science penché sur ses instruments.

Il revint, transportant une toile précieusement emballée de tissu blanc. Il déposa son paquet à même le sol et le déballa avec précaution pour le poser sur son chevalet. Puis, contrairement à ce qu'on pourrait s'attendre, l'homme s'assit dos à celui-ci et, fixant le paysage qu'il allait peindre, attendit.

Ça faisait déjà plusieurs années qu'il venait à ce même endroit travailler sur cette même toile. Il s'asseyait toujours ainsi, ses bras enlaçant ses jambes repliées contre son torse, les pieds croisés. Je pouvais facilement m'imaginer ce qu'il cherchait: la lumière... la vraie lumière. Celle qu'il avait vue la première fois qu'il était passé par ce parc. Depuis, il avait troqué ses verres fumés, qui l'empêchaient de voir les couleurs du ciel, pour un vieux chapeau de toile protégeant son crâne à la calvitie maintenant bien avancée.

Le soleil baissait et dans son visage, je pouvais presque lire les souvenirs qu'il invoquait pour lui-même. Sa lumière, il l'avait tant cherchée les premières fois, tentant vainement de retrouver les couleurs exactes de son souvenir. Puis, il avait fini par comprendre le temps qui semblait dévorer son trésor précieux. Il avait compris qu'il cherchait quelque chose qui ne reviendrait plus, tout comme sa jeunesse et ses cheveux perdus, et que jamais il ne reverrait cette merveilleuse journée.

On aurait pu croire cet homme triste et son regard bleuie de nostalgie lorsqu'il regardait ainsi la réalité superposée à ses rêves. Il l'avait d'ailleurs sûrement été au début lorsque ses souvenirs commençaient à s'estomper comme une toile vieillissant sous le soleil du temps. Des larmes de colère et de peine avaient dû couler de ses yeux sur son coeur. Il aurait alors voulu tout brûler et ne jamais revenir. Mais le jardin des souvenirs se remplit de mauvaises herbes lorsqu'il est maltraité. Au jardinier qui n'en prend pas soin, qui ne retourne pas sa terre au printemps, qui ne fait pas ses semis ou n'installe pas de tuteurs aux plants qui en ont besoin, le jardin meurt. À celui qui ne nourrit pas son jardin, qui ne l'arrose pas les jours où le temps lui refuse sa pluie, la plus prometteuse des terres s'assèche et devient désert où plus rien ne pousse.

Par chance, l'homme avait finit par comprendre la soif de son jardin. C'est pourquoi il venait ici à tous les jours, attendant patiemment et se laissant imprégner de la couleur du jour finissant. Il y oubliait ses troubles et sa rancoeur pour enfin se lever et rajouter une nouvelle teinte, un nouveau ciel à sa toile.

Il peignit alors que le jour descendait. S'il peignait un rayon de soleil, c'est que sa journée s'était bien passée. S'il peignait un peu de pluie, c'est qu'il nourrissait son jardin: la terre qu'il avait bien traitée allait absorber son chagrin et faire pousser pensées et sagesses. L'homme ne craignait plus ni la pluie ni le beau temps. Il les avait apprivoisés.

Le soleil avait pris une teinte sombre. Bientôt, la nuit endormirait nos sens. Déjà, l'homme nettoyait ses pinceaux. M'appuyant sur un coude, je lui souris. Il se tourna vers moi, rayonnant et heureux. Avant même de voir la toile, je savais que la pluie qui était tombé ce matin avait laisser sa place à ce beau coucher de soleil. Je me levai et partis l'aider à serrer sa toile. J'aimais cet homme, il était mon mari. Nous nous étions croisés dans ce parc il y a longtemps déjà et, chaque jour depuis, nous nous y sommes retrouvés pour s'apprivoiser. Aujourd'hui, prenant soin d'un jardin mûrissant, nous étions deux sur sa toile où la peinture fraîche se mêlait aux vieilles couleurs.


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