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     2 <!DOCTYPE story PUBLIC "-//Fabien Ninoles//DTD Story XML V1.0//EN" 
       
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     4 <story id="dorsey" lang="fr">
       
     5   <docinfo>
       
     6     <title>La mort de Michael Dorsey</title>
       
     7     <author>
       
     8       <firstname>Fabien</firstname>
       
     9       <surname>Niñoles</surname>
       
    10       <email>fabien@tzone.org</email>
       
    11     </author>
       
    12     <copyright>
       
    13       <year>1993</year>
       
    14     </copyright>
       
    15   </docinfo>
       
    16   <title>La mort de Michael Dorsey</title>
       
    17   <nda>
       
    18     <para>Une de mes premières nouvelles absolument complète.  Je l'ai
       
    19       écrite la première fois à ma deuxième année du secondaire.  Je
       
    20       l'ai corrigé plus tard, suite à la mort d'un de mes oncles,
       
    21       premier contact que j'avais avec cette petite soeur de la Vie.
       
    22       <emphasis role="title">La mort de Michael Dorsey</emphasis> ne
       
    23       se veut toutefois pas une nouvelle sur la mort elle-même.  C'est
       
    24       plutôt une introduction, une invitation à l'introspection ou
       
    25       quelque chose dans le genre.  L'année suivant la première
       
    26       version, j'écrivais la suite dans le conte <emphasis>La Quête de
       
    27       l'Identité</emphasis> (à paraître).</para>
       
    28   </nda>
       
    29 
       
    30   <para>La brise fraîche et humide me caressait doucement la peau. Je
       
    31     ralentis ma course, tranquillement pour enfin m'arrêtai,
       
    32     légèrement essoufflé en m'appuyant sur mon bâton de marche. Je
       
    33     respirai l'air frais du matin sur les landes, me laissant envahir
       
    34     par la douce senteur de l'herbe verte et des feuilles de chêne
       
    35     puis je me remis en route d'un pas plus solennel. Bientôt,
       
    36     j'entrai dans le cercle de vieux chênes qui couronnait la colline,
       
    37     étouffés par le gui comme par une vieille barbe millénaire, et je
       
    38     pus observer le titanesque dolmen et ses mégalithes d'un autre
       
    39     âge.  Comment fut-il construit?  Comment ces lourds morceaux de
       
    40     pierre arrachés à on ne sait quelle montagne lointaine y furent
       
    41     emmenés?  Nulle légende ni logique historique n'a jamais pu
       
    42     l'expliquer avec satisfaction.  En fait, une seule légende parle
       
    43     de ce lieu, trace effacée d'un passé révolu que seule la tradition
       
    44     orale en a gardé quelques échos.  Elle raconte que ce lieu avait
       
    45     réuni les derniers druides une ultime fois avant leur massacre par
       
    46     l'armée impériale de Rome. Les chênes qui y ont poussé seraient
       
    47     donc les gardiens des derniers secrets druidiques et le dolmen, le
       
    48     tombeau de leur savoir.  Peut-être est-ce à cause de cette
       
    49     légendaire sagesse que les pèlerins venaient y trouver le repos?
       
    50     Ce que je sais, toutefois, c'est que sa vue me réconforta.
       
    51     J'avais beau considérer le Canada comme mon pays, avec ses grandes
       
    52     montagnes, ses rivières tumultueuses, ses plaines immenses et son
       
    53     grand silence blanc et froid, je venais souvent ici, sur la terre
       
    54     de mes ancêtres chercher quelques choses en moi, une partie de mes
       
    55     racines.  J'y venais tant pour soulager mon coeur de peines trop
       
    56     lourdes, comme aujourd'hui, mais aussi pour me détendre et goûter
       
    57     le bien-être que me procure l'air frisquet des collines habilement
       
    58     mêlé par Mère Nature à l'air salin de la mer pour obtenir cet
       
    59     harmonieux mélange de force et de liberté à leur état le plus
       
    60     pur.</para>
       
    61 
       
    62   <para>Après avoir parcouru l'incroyable couronne de vieux chênes,
       
    63     enracinées dans la terre comme sur la tête d'un vieux roi trop
       
    64     sage pour mourir, mon regard se posa sur le dolmen.  Un léger
       
    65     sourire, bien qu'amer et triste, me vint aux lèvres en même temps
       
    66     que la nostalgie de vagues souvenirs me ramenait au jour de ma
       
    67     première rencontre avec cette région enchanteresse et ses
       
    68     chaleureux habitants.  Je n'avais alors que six ans.  Je m'étais
       
    69     égaré parmi les ombres de l'un des nombreux boisés touffus qui
       
    70     entouraient la colline.  À force de longues et effroyables
       
    71     errances, je m'était retrouvé en train de gravir la pente de cette
       
    72     colline, exactement comme je venais tout juste de le faire.  La
       
    73     vue des grands chênes répandant leurs ombres sur le sol ainsi que
       
    74     celle du dolmen rougi par le crépuscule apaisa en moi mes craintes
       
    75     et m'offrit le repos de sa protection comme il l'avait fait pour
       
    76     tant d'autres avant moi.  Traversant le cercle d'arbres, je me
       
    77     suis rendu sous le dolmen et m'endormis sous la grise assurance de
       
    78     sa pierre froide.  Mes yeux se fermèrent doucement sur la
       
    79     merveilleuse vision d'un ciel rouge s'éteignant tranquillement
       
    80     pour laisser sa place aux étoiles du firmament.</para>
       
    81 
       
    82   <para>Mon chemin me conduisit à travers les arbres majestueux
       
    83     jusqu'au dolmen habillé de sa robe verdoyante.  Une fois rendu, je
       
    84     fis un lent demi-tour contemplatif, admirant le paysage que
       
    85     m'offrait chaque porche entre les arbres. Je vis Roderick qui s'en
       
    86     venait d'un pas solitaire tout en regardant autour de lui les
       
    87     merveilles que la nature lui offrait.  Son visage était triste et
       
    88     nostalgique.  Sa vue me rappela durement le motif de ma venue,
       
    89     motif que je fuyais me semblait-il, tout en le vivant pleinement.
       
    90     J'en rougis d'une honte maladroite et je sentis un lourd poids
       
    91     retomber sur mon coeur.  J'avais oublié la mort de monsieur
       
    92     Dorsey, le père de Roderick.  Il était mort hier, dans la nuit,
       
    93     d'un simple arrêt du coeur, son âme l'ayant quitté sans bruit.
       
    94     C'était la simple mort d'un corps épuisé par la vie.  Roderick
       
    95     l'avait veillé toute la nuit, ce qui expliquait ses yeux sombres,
       
    96     eux qui étaient si clairs en temps normal.  Mais, même sans cela,
       
    97     je doute qu'ils auraient pu être clairs en ce jour funeste.  On
       
    98     venait de l'enterrer ce matin et nous étions venus ici faire un
       
    99     pèlerinage comme le voulait la coutume.  Ce lieu était béni, béni
       
   100     par tous.  Oui, béni par tous car, peu importe de quelle religion
       
   101     on était issu, on y ressentait toujours un calme et un réconfort
       
   102     que l'on pouvait qualifier de divin.  Monsieur Dorsey disait
       
   103     souvent que ce lieu était <emphasis>béni des hommes</emphasis> car
       
   104     peu importait le reste en ce lieu.  Et maintenant, c'était moi
       
   105     qu'il réconfortait de la tristesse qui m'envahissait.</para>
       
   106 
       
   107   <para>C'était Roderick qui m'avait trouvé, endormi, sous le dolmen.  Il
       
   108     avait douze ans alors.  On ne se comprenait pas (lui parlait
       
   109     l'anglais et moi le français) mais il a dû déduire que j'étais
       
   110     perdu et m'emmena chez son père.  Je me rappelle encore des folles
       
   111     galopades où j'essayais bien en vain de me tenir en selle sur le
       
   112     dos de son chien ainsi que de nos éclaboussures à la fontaine
       
   113     alors qu'on était sur le chemin de la maison.  Une fois arrivé, je
       
   114     pus admirer la simple beauté du site.  Une petite maison à un seul
       
   115     plancher avec à ses cotés, un joli petit jardin florissant.  Un
       
   116     peu plus loin se trouvait une bergerie et un grand enclos où
       
   117     paîtraient paisiblement un petit troupeau de moutons.  Tout cela
       
   118     était tenu dans un ordre impeccable.  Puis nous sommes entrés chez
       
   119     lui où je rencontrai son père, Michael Dorsey.  Ce grand homme aux
       
   120     yeux foncés et à la peau rude portait encore le deuil de sa femme
       
   121     même si cela faisait plus de six ans qu'elle était morte.  Pour
       
   122     lui, elle méritait beaucoup plus et elle devait avoir sa fidélité
       
   123     jusqu'à sa mort.</para>
       
   124 
       
   125   <para>Mis à part lorsqu'on parlait de sa femme, monsieur Dorsey
       
   126     était un homme sympathique et souriant aux multiples talents.
       
   127     C'était un merveilleux ébéniste et c'est lui qui avait sculpté le
       
   128     magnifique bâton de que je serrais fort entre mes mains.  Il
       
   129     connaissait aussi bien des légendes et se plaisait à les raconter
       
   130     à qui voulait bien les entendre.  C'est donc ce qu'il fit après
       
   131     avoir envoyé son fils au village chercher mes parents.  Monsieur
       
   132     Dorsey savait parler ma langue quoiqu'avec un fort accent et, je
       
   133     m'en aperçu que beaucoup plus tard, un certains manque
       
   134     d'idiotismes.  Il l'avait appris de sa femme, Normande qui avait
       
   135     traversé la Manche avec sa famille et y était restée pour vivre
       
   136     avec ce bel homme.  Pourtant, cette lacune ne faisait qu'embellir
       
   137     ces récits d'une couleur bien saxonne due à la traduction mot à
       
   138     mot des expressions.  J'adorais l'écouter.  Toute l'émotion qu'il
       
   139     savait y mettre, tous les détails qu'il décrivait rendait au récit
       
   140     une apparence de réalité fantastique.  On se serait souvent crû en
       
   141     train d'écouter le récit d'un aventurier perdu, ou peut-être celui
       
   142     d'un mage ayant soulevé le voile d'un lointain passé oublié
       
   143     depuis.  Ce savoir qu'il avait reçu de son père et qu'ils se
       
   144     transmettaient de génération en génération était un héritage de
       
   145     grande valeur comme peu il en reste sur notre Terre.  C'est pour
       
   146     cela que Roderick mettait par écrit tout ce qu'il avait appris de
       
   147     son père car il lui était impossible d'avoir des héritiers.
       
   148     Parfois, je dactylographiais les brouillons qu'il m'envoyait,
       
   149     laissant résonner les images de ces légendes fabuleuses.  Ma
       
   150     famille vint me chercher dans l'après-midi et monsieur Dorsey en
       
   151     profita pour leur démontrer un autre de ses talents.  Le goût de
       
   152     l'agneau qu'il servit à ma famille pour souper me manquera
       
   153     beaucoup.</para>
       
   154 
       
   155   <para>L'évocation de ces délicieux souvenirs me firent venir ;es
       
   156     larmes aux yeux.  Je remarquai les même larmes mais pleines d'une
       
   157     horrible douleur dans les yeux de Roderick.  Il avait traversé le
       
   158     cercle d'arbres et s'était accroupi près du dolmen en marmonnant
       
   159     une prière.  Roderick, tout comme moi, était chrétien.  Pourtant,
       
   160     il préférait prier près du dolmen que face à un crucifix.  Il
       
   161     disait, reprenant en cela les enseignements de son père, que Dieu
       
   162     ne lui en voudrait pas car ses prières sincères et que le dolmen
       
   163     représentait le tombeau du Christ pour lui.  Je me recueilli
       
   164     auprès de lui et priai moi aussi pour le cher défunt.  Même le
       
   165     ciel semblait s'être mis en deuil tellement il était gris et
       
   166     terne.  C'était comme si le soleil avait perdu l'un de ses rayons
       
   167     et s'était caché pour mieux pleurer.</para>
       
   168 
       
   169   <para>On commença à s'installer pour la nuit.  Nous l'avions décidé
       
   170     d'un commun accord, même le mauvais temps n'allait pas nous
       
   171     empêcher de veiller celui que l'on a tant chéri et qui nous a tant
       
   172     aimés. On s'enveloppa dans de chaudes couvertures.  J'admirais la
       
   173     volonté dont faisait preuve Roderick à veiller son père sans repos
       
   174     depuis deux jours alors que moi, je commençais déjà à sentir
       
   175     l'emprise du sommeil sur mon esprit.  Je n'avais guère de choses à
       
   176     dire et Roderick semblait être de l'avis à garder le silence toute
       
   177     la veillée.  Je ravalai donc les mots que j'allais dire et
       
   178     soulevai mon bâton à la hauteur de mes yeux.  Les différents
       
   179     reliefs représentaient pratiquement toute la mythologie des vieux
       
   180     pays: sirènes, sylphides, elfes et nains y peuplaient les forêts,
       
   181     les mers et les montagnes.  Des dragons et des chevaux ailés s'y
       
   182     battaient aux cotés des anciens symboles druidiques et normands du
       
   183     Chêne, des Éclairs et de la Lune.  Une splendide licorne, de façon
       
   184     plus récente, y trônait au sommet d'une montagne.  Une tige de
       
   185     bronze passait sur toute la longueur du bâton.  On ne la voyait
       
   186     qu'aux extrémités où elles formaient des bas reliefs: Celui du bas
       
   187     semblait représenter des flammes et celui du haut, le soleil au
       
   188     midi d'un été.  Je ne remarquai aucune présence de l'être humain
       
   189     parmi ces motifs.  Quoiqu'il en fût, ce bâton avait une grande
       
   190     valeur culturelle et qu'il me soit donné me fut un grand honneur.
       
   191     Sa famille se l'était transmise depuis plusieurs siècles et chacun
       
   192     en faisait une petite partie.  Ce fut Michael qui finit l'ouvrage
       
   193     par la licorne.  Il l'avait sablé puis avait demandé à Roderick de
       
   194     le vernir à l'aide de résine.  Comment le bois avait-il pu tenir
       
   195     si longtemps, même Roderick l'ignorait.  Et pourquoi me fut-il
       
   196     donné à moi?  Je l'ignore mais Roderick pense qu'il devait y avoir
       
   197     une raison précise et qu'il n'y avait que moi pour le recevoir une
       
   198     fois terminé.  J'allais à nouveau questionner Roderick à ce sujet
       
   199     mais la fatigue se posa sur mes paupières et je m'endormis
       
   200     tranquillement, alors que le jour laissait sa place à la nuit et
       
   201     qu'une faible pluie s'était mise à tomber, nous brouillant la vue
       
   202     du monde qui nous entourait.</para>
       
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