Folle tempête

As-tu vu la houle! As-tu vu les vents!
La tempête s'est levée; As-tu vu l'ouragan?
J'ai vu venir le temps, j'ai connu la tempête
Sans même tremper mes flans, et pourtant…

Oui, ma chère mer, je te connais;
Je t'ai aimée dans l'instant
Où j'ai vu tous ces brigands
Renversés. Tous tes amants se noyaient.

Chère mer… Fou que j'étais!
Déjà je pensais qu'ayant vu tes victoires,
Qu'ayant connu ta colère, plus rien
N'aurait pu me surprendre de toi.

Et pourtant, ce jour-là, où je trempais mes pieds,
Ce jour où j'ai vu ta houle, où j'ai vu tes vents,
Où j'ai vu tes vagues se lever, téméraire,
Je me suis dressé devant, fièrement.

Je fus le récif de tes chevaux blancs,
J'ai accueilli ta houle comme maîtresse enhivrante
Et mes cheveux défièrent tes vents… Traître océan,
J'avais trop confiance dans mon sol croûlant.

Tu m'as pris par les chevilles, me tirant
Hors de mes monts si fiers, ma secrète amante
Toi qui as visité toutes les entrailles de mes terres
Je me rappelai soudain : tu en es la mère et l'artisan.

L'effroi me prit; moi qui te connaissais tant
Qu'était-ce cette force que tu cachais à ton amant?
Tu me tirais vers tes entrailles, impuissant
J'allais les connaître au péril de mon sang.

Mais qu'avais-je à perdre, demandai-je, désespérant
De toutes ces croyances en ces terres agonisantes
En ce sol que je croyais ferme, et maintenant,
Tu allais me révéler tes secrets en me tuant.

À bout de souffle, je visitai tes trésors;
Endormi, je flottai entre tes bras;
Près de la mort, je rencontrai tes vieux amants;
Amoureusement, j'accueilli mon sort doucement.

Mais la mort n'était pas pour moi;
Elle était pour ceux qui refusaient les changements,
Qui voulaient que l'eau soit air pour qu'ils respirent,
Qui voulaient que la sable soit pierre pour qu'ils marchent.

Mais à moi qui avais retenu mon souffle,
À moi qui t'avais confié mes transports,
Voilà que tu me donnes l'air dont j'ai besoin
Et, me projetant sur tes berges, le sol qui m'est soutient.

Ô mer! comme je t'aime, comme tu m'effraies!
Mais de pauvre homme isolé sur son île
Tu as fait ( était-ce bien là ton désir? )
Un être sans peur dont la soif n'a plus de fin.

23 juin, 1995

© Fabien Niñoles 1995
Notes de l'auteur.